Méditation 12 du père José

 

« Mon Père, je remets mon esprit entre Vos mains » (Lc 23, 46).

 

L’abandon à Dieu n’est ni passivité, ni quiétisme, il se caractérise par une confiance absolue en son amour. Contempler le Christ pour vivre cette attitude d’abandon total en Dieu (Mt 26,42), il nous en révèle lui-même la substance (Jn 4,34), son abandon total culmine sur la Croix .(Luc 23,46).

Tous les apprentis sauveteurs le savent : lorsqu’on se porte au secours d’un homme qui est en train de se noyer, le principal danger vient des efforts que déploie ce dernier ; la peur, la volonté de se maintenir hors de l’eau coûte que coûte, le conduisent souvent à des gestes désordonnés : il se débat ou s’agrippe désespérément à son sauveteur, ce qui est le moyen le plus sûr de l’empêcher de nager. Ainsi, nous comportons-nous souvent à l’égard du Seigneur : au lieu de Le laisser nous sauver, nous cherchons à diriger les choses à notre manière. Par peur ou par orgueil – souvent les deux en même temps – nous refusons de nous laisser faire, de nous abandonner dans la confiance.

Pourquoi et comment accueillir la grâce de l’abandon?

Dans ce merveilleux ouvrage, « L’Abandon à la Providence divine », qui fait encore aujourd’hui référence, le Père Jean-Pierre de Caussade écrivait : « Vous voulez que je vous indique la voie la plus courte pour arriver à la perfection ?… La voici : c’est l’abandon, oui, l’abandon entier, absolu ; c’est là le comble et le résumé de la perfection, parce que la perfection consiste dans le pur amour, et que l’exercice du pur amour consiste dans l’abandon. Dans ces quelques lignes, ce prêtre définit, avec finesse, concision et précision ce qu’est ou ce que devrait être, pour un disciple du Christ,  l’abandon… Heureusement que nous avons toute une vie pour grandir sous le regard du Seigneur et nous convertir, afin de vivre pleinement, un jour, cet exercice du pur amour.

Pour l’heure, quand je médite personnellement sur l’abandon, je suis à chaque fois renvoyé à la prière sublime de Charles de Foucauld. Alors qu’il se trouvait dans le monastère trappiste d’Akbès (Syrie) (1890-1896), il a fait pour sa prière personnelle une série de méditations sur les Évangiles, qui font référence à la conversation de l’âme avec Dieu. Commentant Luc 23, 46 « Mon Père, je remets mon esprit entre Vos mains », Charles de Foucauld écrit : « C’est la dernière prière de notre Maître, de notre Bien-Aimé … puisse-t-elle être la nôtre… Et qu’elle soit non seulement celle de notre dernier instant, mais celle de tous nos instants ».

L’abandon, « ce fruit délicieux de l’amour », disait Thérèse de Lisieux,est beaucoup plus qu’un simple lâcher-prise. Le croyant se remet entre les mains de Quelqu’un qui le connaît, qui l’aime, et cet abandon est cause d’une grande joie. S’il aime Dieu pour combler un vide intérieur, Dieu l’aime toujours pour lui partager sa plénitude. Il n’est qu’amour, et cet océan de beauté, sans fond et sans âge, n’a pas de limite. En se fiant à lui, nous nous abandonnons librement à son amour créateur. Dieu ne peut donner que son amour.

Le fidèle s’abandonne dans le silence d’une prière de pauvre pour y rencontrer la solitude de son être. Dieu l’attend dans cet abandon confiant, ressenti parfois comme un manque, comme une blessure. La fragilité n’est pas un obstacle à cet appel de l’infini d’un amour. « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2 Corinthiens 12, 10). Elle devient un moyen de nous offrir totalement à l’amour du Père, du Fils et de l’Esprit. Il s’agit beaucoup plus de descendre dans nos faiblesses et pauvretés que de monter vers Dieu par nos mérites et nos vertus.

Le bon grain et l’ivraie continuent à pousser durant la nuit. Ainsi, Dieu nous fait grandir de jour comme de nuit. Il tient notre être dans sa main, le place près de son cœur, sans jamais forcer la liberté. S’endormir dans cette foi confiante en l’inouï de sa présence, c’est lui confier nos fragilités. Il n’y a pas de rendez-vous manqué avec lui. Notre sommeil devient offrande, insomnies ou pas. « Je dors, mais mon cœur veille » (Cantique des Cantiques 5, 2).

Nous avons besoin de confiance pour que la foi règne dans les échanges. Les racines latines du mot foi, fides, et du verbe croire, credere, expriment l’idée de confiance. On met sa confiance en quelqu’un, en quelque chose ; on se confie, on se fie à un autre que soi. Et cela commence très tôt. Le petit enfant s’éveille normalement à la vie grâce à la confiance qu’il développe envers sa mère, son père, les personnes qui l’entourent. Comment s’épanouir si on ne croit pas en soi et en les autres, si on ne fait pas confiance, comme l’écrivait si justement la Petite Thérèse : “C’est la confiance et rien que la confiance qui doit nous conduire à l’Amour”.

La peur constitue un manque de confiance. Lorsqu’elle est projetée sur Dieu, elle fait de lui une idole ou un reflet de nous-mêmes… Jésus demeure le modèle par excellence de l’abandon confiant. Il donne sa vie librement, personne ne la prend. Il aime les siens jusqu’à la fin, faisant de la souffrance un chemin d’offrande. Il s’en remet à son Père, comme l’enfant qui se sait aimé : « Père, entre tes mains je remets mon esprit » (Luc 23, 46). Cette logique intime de la confiance est la signature même du Dieu des chrétiens. C’est pourquoi la mort ne pouvait pas retenir son corps.

C’est avec la prière sublime et pleine de vie de Charles de Foucauld que je conclus ces quelques lignes de méditation sur l’abandon car elle est source d’enseignement. Longtemps, lui qui désirait tellement imiter Jésus, fut assailli de rêves de grandeur. Longtemps aussi, il s’accrocha à l’espoir que d’autres viendraient prendre sa relève. Ce n’est que malade et réduit à l’impuissance qu’il accepta humblement d’avoir besoin des autres. Le combat spirituel de Charles de Foucauld nous rappelle, en permanence, si besoin était, que l’abandon ne dispense ni d’efforts, ni d’engagements. Le courage de l’abandon s’éprouve alors non pas comme un geste volontariste, mais comme un mouvement interne à un don qui le précède.

« En vérité, je vous le dis : si vous ne redevenez comme des enfants, vous ne pourrez pas entrer dans le Royaume de Dieu » (Matthieu 18, 3). Si nous n’acceptons pas de nous abandonner avec la confiance absolue du petit enfant, si nous ne consentons pas à tout remettre entre les mains du Père, “tout, vraiment tout : nos désirs, nos projets, nos soucis, ceux que nous aimons et même notre péché“, nous ne pourrons pas entrer dans le Royaume de Dieu. Nous ne pourrons pas goûter le bonheur du Royaume, promis dès ici-bas à ceux qui ont un cœur de pauvre.

Père José+

 

Mon Père, je m’abandonne à toi,
fais de moi ce qu’il te plaira.
Quoi que tu fasses de moi, je te remercie.

Je suis prêt à tout, j’accepte tout.
Pourvu que ta volonté se fasse en moi,
en toutes tes créatures,
je ne désire rien d’autre, mon Dieu.

Je remets mon âme entre tes mains.
Je te la donne, mon Dieu, avec tout l’amour de mon cœur,
parce que je t’aime,
et que ce m’est un besoin d’amour de me donner,
de me remettre entre tes mains, sans mesure,
avec une infinie confiance,
car tu es mon Père.